Il s'appelle Firs. Et il arrive toujours en retard. À cause de la goutte. Pauvre garçon de maison.
Firs a été créé par Anton Tchekhov. Son chef-d'œuvre Le jardin des cerises traite de l'ennui et de la paresse des vieux riches, et Firs est le serviteur de la maison qui voit tout cela arriver. Tchekhov le laisse mourir, à la fin, lorsque les propriétaires de la maison qui s'en vont le laissent totalement oublié. Il était un meuble, et c'est en tant que meuble qu'il sera abandonné.
Dans la performance de lieu Avant de dormir, Firs est le seul survivant de la tragédie de 1904. Et seulement parce qu'il s'est même avéré être en retard pour sa propre mort. À cause de la goutte, probablement.
La compagnie Dreamthinkspeak fait du théâtre expérientiel, tel que nous le connaissons grâce à un jeune créateur comme Dries Verhoeven : l'histoire importe moins que l'atmosphère, l'expérience et ce que tu peux vivre d'autre lors d'une soirée dans un endroit étrange. Et cet endroit est très bien choisi. L'Amsterdam Zuidas est la crise incarnée : autour d'une autoroute hideuse, des immeubles se dressent, vides, exsudant en tout le mauvais goût des banquiers optimistes d'avant 2008. Le vent hurle sur des sites pleins de courants d'air où il n'y a pas encore de bâtiments. Dans un immeuble d'habitation, on ne soupçonne la vie qu'à travers les vitres réfléchissantes. Tout le reste est vide. Une ville fantôme mégalomane où l'on ne se promène qu'en touriste du désastre.
Tu traverses un bâtiment, des couloirs sombres, tu te retrouves soudain dans un grand magasin, puis à nouveau sur une banquise, ou dans une vitrine. Et il y a toujours ce personnage, Firs, qui veut te dire quelque chose, mais comme il parle russe et que nous ne le parlons pas, le message n'arrive jamais. Ou alors, il doit s'agir du message de mélancolie et de nostalgie que nous associons si facilement à l'œuvre de Tchekhov.
Dreamthinkspeak impressionne par la perfection de sa production. Jusqu'à l'équipe d'assistance néerlandaise qui vous guide d'un lieu à l'autre, tout semble parfait. En tant que spectateur, tu t'abandonnes rapidement à l'atmosphère et tu fais la paix avec ton incapacité à saisir quoi que ce soit du nouveau monde dans lequel tu es entré.
Comme les sapins, en fait.
Vu le 11 juin 2011 au Holland Festival
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