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Anne Teresa De Keersmaeker et Solal Mariotte dansent Brel en Avignon : "Pas de juste milieu, mais du radical et de l'extrême".

Une place ensoleillée, dans la chaleur du jour. C'est le calme plat, l'heure de la sieste. Mais voici que dans la lumière étouffante de l'après-midi, une jeune fille danse, tourne autour de son axe, tourne, tourne, comme si sa vie en dépendait. Jacques Brel, lui, chantait la danseuse. Des femmes de vingt, trente, soixante-dix ans bien, qui dansent, sans rien dire, un amoureux qui sourit en dansant - en écoutant sa musique, vous l'avez vue apparaître devant vos yeux pendant des années, là, dans ce plat pays, ce pays des Flandres.

Et voilà qu'elle prend corps un instant, aux côtés de tant d'autres personnages hauts en couleur des chansons de Brel dans BRELle nouveau spectacle de danse d'Anne Teresa De Keersmaeker et Solal Mariotte, dont la première a eu lieu au Festival d'Avignon au début du mois.

Une carrière légendaire

Le conflit des générations, sur lequel Brel a chanté et que De Keersmaeker (65) et Mariotte (24) abordent de manière très ludique dans BREL - Ils y reviendront plus tard, lors d'une conversation dans un endroit plus calme. Sur scène d'abord, nous assistons à un spectacle merveilleusement énergique et aussi émouvant, une ode en quelque sorte à la folle présence scénique de Brel, à son extrême dynamisme et à sa mélancolie déchirante, incarnés dans des solos et des duos sur fond de carrière.

La Carrière de Boulbon, un lieu légendaire situé juste à côté de la scène festive d'Avignon, enveloppe sa voix claire et retentissante, tandis que son effigie apparaît de temps à autre sur les parois rocheuses, aux côtés d'autres projections vidéo associatives évoquant ses chansons. Elles sont classées par ordre chronologique, De Keersmaeker dansant d'abord en solo, puis Mariotte la rejoignant après quelques chansons. Et comment.

Breakdance

Solal Mariotte a impressionné à Avignon et au-delà il y a deux ans lorsqu'il a joué dans Sortie par le haut danced, le précédent spectacle de Rosas, la célèbre compagnie de De Keersmaeker. Mariotte a une formation en breakdance, a suivi le cours P.A.R.T.S. de De Keersmaeker à Bruxelles et, outre la danse, s'est spécialisée dans la chorégraphie. À un moment donné, toutes deux ont découvert leur fascination mutuelle pour Brel (pendant ses études, Mariotte avait déjà créé une danse sur la musique de Brel). La valse à mille temps). Il a fallu un certain temps avant que cette performance ne soit concrètement atteinte, mais c'est désormais le cas. BREL de toute façon. Sous le titre "De Keersmaeker danse la biographie de sa vie", le journal fait l'éloge de Le Standard la production est étonnamment personnelle.

L'histoire ancrée dans les paroles de Jacques Brel se recoupe avec mon histoire", déclare De Keersmaeker lors d'une conversation peu après la première française. Nous sommes assis à une longue table dans le jardin d'un monastère, Mariotte en face d'elle. Brel est belge, avec des ancêtres flamands. Il est lié à Bruxelles, tout comme moi. Lorsqu'il chante la danse d'une jeune fille flamande, oui, il y a rapidement cette connotation. Mais le spectacle parle autant de Solal que de Brel, que de moi et de nos relations mutuelles. C'est ce triangle - d'accord, cette constellation est nouvelle".

Humour

Outre l'aspect personnel BREL Elle explique qu'elle est déjà définie en termes de "nouveauté", de "transition" dans sa trajectoire artistique. Je pense que les gens sont surpris de voir qu'il y a de l'humour dans cette pièce. Mais chaque musique que l'on chorégraphie aujourd'hui exige une stratégie différente". Bach, Reich, Vivaldi, Baez, l'opéra, la comédie musicale, pour n'en citer que quelques-uns : tout y est passé en 45 ans de carrière.

J'ai vraiment grandi avec Joan Baez, grâce à un disque que ma mère avait reçu à la naissance de ma sœur et que j'ai rendu gris. Nous n'étions pas vraiment une famille de musiciens, nous avions peut-être une vingtaine de vinyles. Mais Joan Baez... oui, c'est là que j'ai fait ma performance plus tard. Une fois sur elle. Oh, et vous savez ce que nous avions aussi ? Liesbeth List chante Theodorakis. Super ! C'était un autre record".

La musique est mon premier partenaire. Pour moi, la danse est intrinsèquement liée à la musique", déclare Anne Teresa De Keersmaeker dans l'article "La musique est mon premier partenaire". Quand elle dansele livre publié en juin par la journaliste française Laure Adler. Adler a suivi De Keersmaeker pendant deux ans ; le livre est un reflet fascinant de leurs conversations sur les arts (de la danse) et la vie. Elle y parle, entre autres, d'elle-même en tant qu'étudiante perfectionniste aimant les dissertations. La toute première dissertation que j'ai écrite en français portait sur Le Plat Pays Par Jacques Brel (...) J'avais 14 ans".

Conflit de générations

Si la génération de De Keersmaeker a grandi avec l'œuvre de Brel, les quelque 150 chansons qu'il a écrites à un rythme effréné pendant 15 ans, et les images iconiques de ses prestations sous les projecteurs de l'Olympia, celle de Solal Mariotte n'a rien à voir avec cela. Enfin, presque rien.

Mariotte : "Bien sûr que non. Je veux dire que ce n'est pas ce que nous écoutons. Si vous dites Jacques Brel, les jeunes Français connaissent peut-être le nom et, comme moi auparavant, quelques chansons, probablement les plus célèbres. Avec tout le respect que je lui dois, je me suis amusé et je m'amuse beaucoup avec Brel au karaoké. C'est seulement maintenant que je me rends compte que beaucoup de gens, comme Anne Teresa et vous, ont grandi avec lui, se sentent vraiment liés à lui".

Frénésie destructrice

Je me demande donc si une femme de mon âge qui est Les Flamandes qui danserait, ou qui aurait la même lecture qu'Anne Theresa. En fait, bien sûr, chacun a une relation différente et individuelle avec chaque chanson. La valse à mille temps pour moi, par exemple, qui a cette frénésieIl y a aussi cette frénésie, cette accélération qui menace de devenir incontrôlable, cette autodestruction qui appartient tant à Brel. Il a chanté relativement brièvement, beaucoup, et s'est arrêté brusquement ; il avait tout donné. Ce n'était pas quelqu'un de moyen, il était radical, extrême. Je le trouve aujourd'hui fascinant".

Quiconque voit Mariotte Brel danser obtient tout ce qu'il décrit ici - et plus encore, une expérience que l'on n'est pas prêt d'oublier. Depuis, il a développé un idiome qui lui est propre, mêlant breakdance, influences P.A.R.T.S. et quelque chose d'insaisissable, de virtuose. Des chansons comme Bruxelles, La valse, l'esprit mordant de Ces gens-là (Là où De Keersmaeker peut dégager quelque chose d'éthéré, de presque solitaire, il se lance à corps perdu dans la confiance, une combinaison qui incarne mais n'illustre pas simplement leur différence d'âge : un élément que les deux danseurs évitent à tout moment dans leur co-chorégraphie. Ils en incorporent l'énergie, chacun à sa manière.

25 chansons

Après une longue préparation - Adler mentionne des piles de livres sur Brel dans la salle de répétition, De Keersmaeker elle-même loue les ressources de la Fondation Jacques Brel - ils sont arrivés à ce set de 25 chansons. Je pense que notre premier choix était très intuitif, très direct", dit-elle. L'ordre chronologique forme la ligne dramatique, nous voulions montrer son évolution musicale et mentale, quelque chose qui reflète ce qui se passe chez lui.

(Photo : Anne van Aerschot)

Au début, nous avons beaucoup travaillé séparément. Comme Solal voulait non seulement danser lui-même, mais aussi faire des recherches sur la chorégraphie, il a travaillé avec deux autres danseurs. Mariotte : "Oui, et nous avons une façon différente d'aborder les chansons, une façon différente d'envisager le mouvement, etc. J'ai pu profiter de l'occasion pour aller encore plus loin dans le métier.

C'est ainsi qu'est né ce spectacle méticuleusement structuré, avec lequel ils partiront en tournée à vive allure après Avignon. Ils ne craignent pas de s'ennuyer, "nous sommes payés pour ça", dit De Keersmaeker en plaisantant. Mais sérieusement : "Qui était-ce aussi ? Oui, Winton Marsalis, qui a dit : "Il n'y a pas de liberté dans la liberté, il n'y a de liberté que dans la structure". Mariotte : "Dans ce théâtre en plein air, il n'y a de toute façon pas deux soirées identiques". Ils gloussent : "Rien que ces bestioles".

BREL d'Anne teresa De Keersmaeker et Solal Mariotte/ Rosas a été créée à Avignon le 6 juillet 2025 et peut être vue à l'Internationaal Theater Amsterdam les 8 et 9 novembre 2025, entre autres ; pour plus de dates et d'informations, voir : rosas.be
Quand elle danse - Entretiens avec Laure Adler a été publié le 6 juin 2025 aux éditions du Seuil : https://www.placedeslibraires.fr/livre/9782021584554-quand-elle-danse-laure-adler-anne-teresa-de-keersmaeker/

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