La collaboration entre la pianiste Tomoko Mukaiyama et la chorégraphe Nicole Beutler dans le spectacle 'Shirokuro', vu la semaine dernière au Holland Festival, offre une belle perspective sur deux sonates pour piano de Galina Ustvolskaya. Shirokuro' signifie noir et blanc en japonais. Malgré des visuels forts et des coprotagonistes impressionnants sur scène, la musique absolue de la compositrice russe n'est jamais expliquée et conserve donc toute sa puissance.
Le "concert de danse" commence par une lente introduction d'éléments. Un espace sombre et insondable s'ouvre. Il y bruisse et y résonne comme dans l'univers. Au milieu de la scène se trouve un immense piano à queue, dont on ne voit vraiment que l'avant. Il ressemble donc plutôt à une table de travail, à un secretaire un peu grand ou à un autel de maison. L'éclairagiste Jean Kalman a également doté le sol de quelques bandes de néon blanc, qui rendent encore l'obscurité intime désolée et statique.
Mukaiyama arrive comme une chamane muppet. Arc-boutée en gesticulant ou à quatre pattes, elle passe lentement devant l'aile. Sa taille et son écorce nue restent cachées derrière une immense perruque noire. Tenant un tube de néon, elle est brièvement une Jedi, bien que la jupe finement plissée qui tombe de sa taille évoque plutôt un costume de deuil. Comme un jack-in-the-box, le pianiste saute enfin sur le tabouret du piano et frappe les premières touches. Rien ici ne rappelle la solennité d'un concert classique. Tout renvoie à un tout autre monde, bien plus ancien, où la vie et la mort sont liées comme une évidence à une éternité inaccessible.
Regarder intensément et pourtant voir peu aide à écouter. Tomoko Mukaiyama joue la cinquième sonate pour piano en se balançant presque par moments. Le piano à queue semble préparé, mais c'est la longueur des cordes du Fazioli, m'a-t-on dit après coup, et le toucher, la manière de jouer, qui donnent à l'ensemble quelque chose de "non pianistique". Les grappes de sons bourdonnants d'Ustvoslkaya - dont l'impact crée un vide émotionnel : la pensée disparaît, chaque sentiment est consumé, seul l'abandon subsiste - transforment le pianiste en un batteur monumental, bien qu'il y ait encore beaucoup de notes détachées et de phrases décousues dans la Sonate pour piano n° 5, qui ramènent à un certain lyrisme.
Ce n'est qu'au bout de 20 minutes qu'il y a tellement de lumière sur les touches qu'on peut voir les mains de Mukaiyama à l'œuvre. Les lampes fluorescentes s'éteignent et je dois les allumer. Svyatoslav Richter qui aime aussi jouer dans l'obscurité. Ce n'est qu'ensuite que le danseur et adversaire Mitchell-lee van Rooij apparaît. Lui aussi reste d'abord caché sous son costume. Il flotte avec lui et donne à sa grande silhouette quelque chose d'irrégulier. Dansant sur le rythme, qui n'est pas sans rappeler celui d'Oestvolskaya, il martèle lui aussi des morceaux de temps. Tout est en plein mouvement, sans que les interprètes ne se mettent en avant en tant qu'êtres humains. Leur présence est palpable plutôt que visible. L'espace de la scène change subtilement de ton. Le rétroéclairage de Jean Kalman joue sur la netteté et la profondeur. Parfois, il ne reste des protagonistes qu'une silhouette rayonnante, tandis que dans les lignes de leur profil, le néant noir vous regarde et l'impénétrabilité de la musique se reflète dans une image implacable.
Urgente, impérieuse, très occasionnellement swinguante, est la stérilité qui prend ainsi place sur scène, notamment avec le déploiement de la Sonate n°6. À chaque nouvel entracte, le vide s'agrandit. Les deux personnages sur scène, malgré leur performance intrense, semblent orphelins, alors qu'ils errent dans un paysage brutal sans histoire. Et puis soudain, il y a un peu de Schumann, dans un glorieux bain de lumière, d'or et de tranquillité. Mitchell-lee van Rooij prend son envol. La lutte intense est échangée contre un tourbillon lyrique et physique à travers l'espace.
Lorsque le battant est fermé et que la lueur se réduit à une seule lumière en fond de scène, quelque chose du dix-neuvième siècle se manifeste là aussi. Van Rooij et Mukaiyama, de part et d'autre du monstre noir, ont l'air de veilleurs de nuit dans une chambre bourgeoise trempée dans le deuil. Une tristesse intense se répand sur la scène, réaffirmée par Mukaiyama dans son interprétation raréfiée de la mélodie de Schumann. Die Lotosblume. Les sons traités synthétiquement sont trash, de plus en plus aigus et ombragés à chaque instant, vraiment insupportables. Le vide, le deuil, l'inépuisable ineffabilité, une puissance silencieuse qui ne peut être supportée que dans la solitude ; l'a-social qui rend la musique d'Oestvoslkaya si puissante se répercute dans cette interprétation rude par deux femmes, qui osent donner forme à la stupidité d'un chagrin intense par des moyens théâtraux. Déconcertées, elles laissent le public derrière elles. Très bien joué.
Documentaire 'Scream in the universe' de Joseé Voormans, VPRO, 2005, à propos de Galina Ustvolskaya (1919-2006):