Sanja Mitrović est une créatrice de théâtre avec un thème et un secret. Elle s'appuie sur le thème à chaque représentation. Et le secret est en train de titiller les talons de son travail.
Son thème est le collectif : comment il grandit, sur quoi il repose, à quel point l'amour mutuel peut être profond, comment l'euphorie peut se transformer en rage, comment il peut exploser de l'intérieur par la méfiance mutuelle et la trahison.
Des collectifs qu'elle a déjà examinés auparavant : des pays au passé imparfait, des communautés en deuil, les pères fondateurs de l'Europe unie, le public des grands orateurs. Et maintenant, elle se penche sur le collectif le plus fanatique de tous : les supporters de football. Avec quatre vrais acteurs sur scène, qui ne comprennent rien au comportement grégaire et à l'hystérie de masse. Et quatre vrais supporters de football, qui ne pourraient pas vivre sans troupeau et sans masse.
Les acteurs se posent les uns aux autres et posent des questions aux supporters. Sur les liens familiaux, le club de football, la patrie et les sacrifices que tu serais prêt à faire pour elle. Des questions sur la loyauté envers le groupe ou la loyauté envers soi-même. Demain, c'est la première de ton nouveau spectacle mais aussi l'enterrement de ta grand-mère. Que choisiras-tu ? Resterez-vous à la maison sur le lit de mort de votre père ou irez-vous au match européen à l'extérieur du Feyenoord, comme il l'aurait fait ? Ces questions sont d'autant plus poignantes que l'interviewé est projeté grandeur nature sur la toile de fond.
Les acteurs tentent de saisir quelque chose de ces dilemmes meurtriers, de cette bigoterie pour laquelle tout doit céder, en citant Shakespeare, Tchekhov et Racine. De belles citations : le sacrifice de soi pour la plus grande cause existe depuis un peu plus longtemps que la Ligue des Champions. Mais en fait, tout est déjà contenu dans le nom du club de Rotterdam où Sylvia a découvert l'amour du football : HOV, l'espoir au service du progrès.
Et la rage qui suit la destruction de cet espoir est en fait mieux perçue dans le regard de Gert-Jan, le supporter, au moment où deux acteurs déchirent le drapeau du Feyenoord. C'est ainsi que quelqu'un regarde lorsque le symbole du collectif qui le protège de la solitude et lui permet de rêver de victoire lui est enlevé, chaque semaine.
Le secret de Sanja Mitrović est un traumatisme : le meurtre de... Zoran Djindjić. Le 12 mars 2003, ce premier ministre serbe a été abattu. Sanja vivait encore à Belgrade à l'époque. Elle faisait partie de la génération qui a grandi pendant les guerres dans les Balkans et qui est ensuite descendue dans la rue pour la démocratie. Djindjić était l'espoir de sa génération, son espoir de progrès : un orateur charismatique, qui était en passe de conduire son pays d'un passé erroné vers une Europe unie et qui voulait faire la courte échelle aux nationalistes sanguinaires qui recrutaient leurs tueurs dans la foule des supporters. Sa mort a laissé le pays à la dérive, abasourdi et en deuil.
Mitrović n'a jamais littéralement puisé dans ce traumatisme dans son travail. Mais il se cache sous chacune de ses représentations. Comme un secret qui doit tôt ou tard éclater. Le secret qui suit les talons de son théâtre fiévreux et inéluctable.
M'aimes-tu encore ?
Vu : 31 mars, Corrosia Almere theatre
Pour les prochaines dates de jeu, voir www.sanjamitrovic.com
Chris Keulemans était membre du conseil d'administration de Stand Up Tall Productions 2009-2014