Le CD Sax avec Elan ! est le dernier projet en date du toujours entreprenant Quatuor Amstel. Les quatre saxophonistes se sont fait connaître par des interprétations impeccables et inspirées de la musique contemporaine, mais n'hésitent pas à sortir des sentiers battus. Pour ce CD, ils se sont associés au chansonnier français Philippe Elan.
À ma grande surprise, le disque est consacré à Ton de Kruyf (1937-2012). Ce moderniste néerlandais sous-estimé appartient à la génération des Reinbert le lion et autres, mais s'est moqué du sérieux plombant de l'avant-garde dès l'apogée de la musique atonale. Comme, par exemple, dans Pour faire le portrait d'un oiseauqu'il a composé en 1965 pour la soprano Ileana Melita et un ensemble de chambre, sur un texte plein d'esprit de Jacques Prévert. (Je l'ai jouée le 6 mai 2015 à Panorama du lion sur le Concertzender).
De Kruyf avait l'esprit ouvert et pouvait assister à des concerts présentant une grande variété de musique. Plus tard, il s'est lié d'amitié avec le saxophoniste Olivier Sliepen du Amstel Quartet, pour lequel il a composé plusieurs pièces. De Kruyf était également ami avec Elan, qui vit aux Pays-Bas depuis de nombreuses années et qui lui a raconté qu'enfant, son grand-père l'avait "forcé" à jouer dans la fanfare locale. Lors d'une rencontre fortuite dans un café d'Amsterdam, De Kruyf l'a présenté à Sliepen et le projet d'une collaboration est né.
Excellente diction
Cinq arrangeurs ont pris en main une sélection de chansons françaises et néerlandaises, interprétées par des musiciens et une chanteuse au plaisir de jouer communicatif. Elan a une voix chaude, légèrement rauque, une dynamique variée et une grande diction, qui rend le texte facilement intelligible même dans les passages ultra rapides. Le quatuor sonne de manière très homogène, évoquant parfois l'atmosphère d'un accordéon.
Ce son s'accorde parfaitement avec les chansons à dominante française de personnalités aussi diverses que Charles Trenet, Jacques Brel et Édith Piaf. L'accent légèrement français d'Elan dans les deux chansons néerlandaises est charmant, Barrière contre les ondes de tempête par Harry Bannink (arrangement Ruud van Dijk) et Chanter, se battre, pleurer, prier Par Ramses Shaffy (arrangement Reyer Zwart).
Synergie mutuelle
Cependant, les arrangeurs n'ont pas réussi à trouver un bon équilibre entre les quatre saxophonistes et la chanteuse. Il est compréhensible qu'ils aient voulu écrire des parties intéressantes pour les instrumentistes, sans que la chanteuse ne se retrouve noyée dans la neige. Le fait que cela se produise régulièrement n'est pas seulement dû aux parties (trop) chargées, mais aussi au fait que le quatuor est enregistré un peu fort par rapport à la chanteuse. Les rythmes souvent un peu hoempa-esques sont également contre-productifs à long terme, comme par exemple dans la chanson de Shaffy et dans Paris s'éveille (Dutronc/Noir).
Les meilleurs arrangements sont l'œuvre de l'arrangeur professionnel Bob Zimmerman, qui apporte plus de tranquillité aux parties. Le point culminant est le mélancolique Avec le temps de Léo Ferré, dans lequel les élans langoureux d'Elan sont intégrés dans les longues lignes magnifiques des saxophones. La synergie mutuelle est indéniable et les fans de l'Amstel Quartet et d'Elan apprécieront certainement ce CD. - Dommage qu'il manque une chanson de Jacques Prévert, ce qui aurait été un beau geste à l'égard de Ton de Kruyf.