Maarten Baanders a vu un opéra qui est resté une île.
Athanasius Kircher (1602 - 1680) était un omnivore. Aucun phénomène de l'univers ne pouvait échapper à son ardeur à enquêter. Il était un savant universel, mais aussi un fantaisiste. C'est pourquoi il ne comptait pas dans la science. Mais pour un opéra grotesque, tu peux difficilement imaginer un protagoniste plus attrayant.
Louis Andriessen a composé "Théâtre du monde" sur un livret d'Helmut Krausser. Il n'est pas facile de saisir une vie dans laquelle tant de sujets exubérants ont traversé l'esprit du protagoniste en sept quarts d'heure. Krausser a choisi de dessiner la vie de Kircher dans ses dernières heures. Une situation limite. Le moment ultime pour se demander ce qu'il a vraiment fait de la vie. Les pensées de Kircher prennent un caractère d'urgence.
Les principaux personnages de sa vie l'entourent dans un cimetière de Rome : le pape (qui a été impressionné par ses réalisations scientifiques), son éditeur d'Amsterdam Janssonius, un jeune couple amoureux, un petit garçon quelque peu mystérieux qui s'immisce constamment dans le cheminement de ses pensées, et en arrière-plan une religieuse et poète vénérée par Kircher, aux allures de prophétesse : Sor Juana Inés de la Cruz.
L'histoire saute à plusieurs reprises dans des pays où Kircher a été actif : Égypte, Mésopotamie, Chine, Mexique. Outre la lumière, qui change efficacement l'atmosphère du décor surréaliste, ces sauts rendent difficile l'immersion dans l'histoire. Elles restent des panoramas à distance.
Malheureusement, l'atmosphère urgente et grotesque n'a pas un aussi bon effet sur le style de jeu. En permanence, la même atmosphère tendue prévaut, avec un jeu d'acteur épais et des gestes somptueux. Bien sûr, il y a des moments comiques, mais en général, c'est la sueur moite qui domine. Cela fatigue et, de plus, c'est un deuxième facteur qui fait que le spectacle reste distant.
Le livret ne rend pas les choses faciles. Sans parler des différentes langues utilisées de manière interchangeable. Mais c'est une belle trouvaille, en accord avec l'intérêt de Kircher pour les langues, et plus généralement l'atmosphère englobante dans laquelle il pratiquait sa science.
Mais ce qui dérange, c'est que la langue reste tellement enfermée dans une atmosphère de chambre du dix-septième siècle. Cela peut procurer un plaisir érudit et des moments d'intelligence, mais la question qui se pose est la suivante : le "Théâtre du monde" est-il un opéra de notre temps ? Au cours des dernières décennies, nous, Occidentaux, avons vécu avec l'idée que nous étions en train de travailler dur pour mettre le monde entier sous notre emprise scientifique et technique. Il s'agit bien sûr d'une illusion. Un délire qui pourrait bien être pris en compte. Bien sûr, une œuvre d'art ne doit pas commenter littéralement l'actualité. Mais le potentiel de l'art réside dans le fait qu'il peut offrir des tangentes, des angles inattendus pour ébranler des certitudes bien ancrées.
Occasion manquée
Le fait que l'histoire de Kircher, qui s'apparente à un Faust, soit écrite si loin du monde de pensée et d'expérience du XXIe siècle est une occasion manquée. Même si tu optes pour le grotesque, tu devrais pouvoir transmettre l'idée que la vie et l'œuvre d'un homme comme Kircher éclairent notre état d'esprit moderne. Le théâtre du monde est un opéra insulaire. Tu le vois au loin et tu ne peux pas t'en approcher, même si tu en as envie. En effet, la musique est si belle et passionnante et, avec son caractère nulle part prévisible, est comme un paysage vaste et varié dans lequel l'homme doit trouver son chemin. Les chanteurs font également preuve de nombreux atouts : le pape (Marcel Beekman), qui comprend surtout l'art du grotesque ; Sor Juana Inés de la Cruz (Cristina Zavalloni), qui proclame ses sagesses avec sa voix non mondaine dans un cadre rayonnant en arrière-plan ; les sorcières brillamment vêtues (Charlotte Houberg, Sophie Fetokaki et Ingeborg Bröcheler) ; le jeune couple d'amoureux dont la passion éclate (Nora Fischer et Martijn Cornet) ; le jeune garçon sauvage Lindsay Kesselman, sans oublier les rôles animés de Kircher (Leigh Melrose) et de Janssonius (Steven Van Watermeulen).
Théâtre royal Carré
Lun 13, di 14, do 16, ven 17 juin, 20h (introduction : 19h15)
Dimanche 19 juin, 13h30 (introduction : 12h45)
L'inscription est obligatoire pour les présentations.
Il y a des surtitres en néerlandais et en anglais.