L'Anton de Komplein est moins accueillant que le toit du Parking 58 à Bruxelles, où j'ai pu me rendre. danse de nuit vu plus tôt. Au-dessus du sud-est, la lune est cachée derrière une brume épaisse, la place semble grande et vide donc sans le marché. Le spectacle du chorégraphe Boris Charmatz/Musée de la Danse, à voir également aujourd'hui et demain au Bijlmer dans le cadre du Holland Festival, semble simple. Les danseurs disent littéralement ce qu'ils font, ce qui les préoccupe, ils racontent à bout de bras. Leurs mouvements ajoutent du dynamisme à ces mots. C'est un peu comme la façon dont les petits enfants jouent, en faisant des sons, en se morphant : faire une petite voiture avec la main, devenir la courbe et ensuite faire la collision avec tout le corps. Mais cela exprime aussi un énorme besoin. De partager. D'être entendu.
un rat qui grignote les testicules
La violence joue un rôle majeur dans les paroles, mais aussi dans les gestes des danseurs. L'attentat meurtrier contre la rédaction de Charlie Hebdo à Paris, en janvier 2015, est longuement évoqué. Mais des gestes cruels qui apparaissent dans les caricatures, comme un rat qui grignote des testicules, sont également filés et imités. Les danseurs se déplacent constamment et l'ensemble a quelque chose de joyeux, d'énergique, comme si la douleur et la souffrance n'existaient pas.
À cause de l'accent mis par les textes sur la violence "ailleurs", on oublie en tant que spectateur que les danseurs manipulent leur propre corps de façon assez sauvage, aux pieds des spectateurs, qui se tiennent parfois autour d'eux de façon un peu inconfortable. Cette vulnérabilité n'est nulle part jouée par Charmatz. Jamais un danseur n'est anxieux, jamais personne ne semble fatigué. Le drame, les sentiments, les pensées, ils sont seulement racontés.
Monument aux morts
Les textes sont en anglais, mais les accents pleins de fautes de prononciation et le rythme rapide auquel les textes sortent - au rythme des mouvements - font qu'il est parfois difficile de tout suivre en détail. Cela fait aussi qu'en tant que spectateur, tu restes un peu à l'écart, malgré l'engagement des danseurs. D'un autre côté, tout est dit très directement. Pas de jeu d'acteur, pas de prétention. Cela rend certaines scènes très crues, par exemple lorsqu'une femme est prise à l'entrejambe et traînée par les cheveux par ses collègues danseurs. C'est une juxtaposition aliénante qui est ainsi créée, entre la manière amoureusement énergique dont les danseurs interagissent entre eux et avec le public, et les scènes qu'ils jouent entre-temps.
Puis soudain, toute une chaîne de danseurs s'est attrapée l'entrejambe. La danseuse Marlène Saldana cite Patrick Pelloux, membre de la rédaction de Charlie Hebdo, qui a été le premier à entrer dans les locaux après l'horrible attentat. Un silence merveilleux s'installe. Sans emphase ni fioriture, alors que les danseurs tombés au combat restent muets. Ainsi, en peu de temps, une scène de viol devient un monument aux victimes, aux héros de la liberté d'expression ou du dessin libre. Jolie Ngemi, la danseuse à la veste de cow-boy en cuir blanc, se lève d'un bond et exécute une danse de résurrection. "Coucou", dit-elle gentiment à un collègue danseur sur le sol, "réveille-toi".
Rage sourde
La partie la plus idiote de l'émission consiste en une longue liste de stars du cinéma et autres mises en scène dans des scènes banales et compromettantes. "Meryl Streep en train de baiser. Nathalie Portman qui baise. Penelope Cruz en train de faire une fellation à l'arrière d'une Honda 4." Cette phrase est tirée d'un texte de Tim Etchells intitulé Starfucker. Certaines scènes, tu les reconnais, Hollywood est plein de violence, plein de sexe, même si bien sûr nous n'avons jamais l'occasion de le voir aussi précisément. La réalité ne nous est pas non plus inculquée par Charmatz, cela donnerait encore plus de drame, de voyeurisme et de fiction. Charmatz ne fait que donner les prémices d'une forme, les prémices de l'empathie. On pourrait dire que c'est de la caricature, quelques lignes racoleuses et le bon slogan.
Dans les grandes lignes, une rage sourde se dégage, celle de personnes qui veulent se faire entendre, cherchant à attirer l'attention par le choc et l'effroi. Il est amusant de constater que cette stratégie s'applique autant aux caricaturistes qu'aux jeunes attaquants qui déstabilisent actuellement les capitales européennes. "Bienvenue dans cet espace, bienvenue dans ma tête". En fin de compte, il semble que danse de nuit en attirant l'attention sur la capacité d'imagination de chacun et sur le désir de chacun d'être entendu.
Désespoir
Charmatz parvient habilement à mettre en scène un vaisseau de contradictions. Il met en quelque sorte le public dans la situation à laquelle les étrangers sont habitués. Ils ne comprennent pas tout à fait la langue et n'ont pas encore appris les bonnes manières. danse de nuit nous rappelle que la réalité est bien trop violente pour être transformée en fiction. Mais aussi que la violence vient de quelque part, qu'il existe une base d'humanité qui, lorsqu'elle est étouffée, peut conduire à une grande violence. Ce sont en fait des clichés, mais Charmatz les met en scène de façon poignante, indirecte et pleine de désespoir caché.