D'abord, les chaises doivent quitter l'auditorium du Muziekgebouw aan't IJ. Ensuite, un certain inconfort, ces deux heures que dure La parabole du semeur d'Octavia E. Butler. Au moins, ça ferait un peu de chagrin partagé, et peut-être un peu d'échangisme maladroit. Parce qu'au train où allaient les choses, ce premier soir des débuts de Toshi Reagon au Holland Festival, vous ne souhaiteriez cela à personne.
Elle est montée, et a vu une salle aussi colorée que le pain aux raisins d'un boulanger économe. Une salle pleine de gens venus pour un concert, et peut-être un oratorio moderne. Des gens que l'on attendrait au festival le plus prestigieux des Pays-Bas, entrecoupés de quelques personnes de couleur perdues, de quelques hipsters et d'une classe d'école. Alors quand tu t'appelles Toshi Reagon et qu'en fait, tu venais juste de penser à une soirée douillette de chant et de conte, c'est du boulot. Pour les deux.
Toile ouverte
Ce public ne va pas applaudir, et applaudir entre les chansons du morceau légèrement composé s'appelle dans ce monde un "rideau ouvert", et il n'est distribué qu'en de rares occasions. De plus, si une grande partie du répertoire consiste en des variantes de spirituals louant Dieu, il est évident que tu ne feras pas non plus chanter le public non croyant. Alors les gens se disent encore : oui, mais parlons-en d'abord. Dieu n'est pas dans notre système.
Ce qui, bien sûr, est assez dommage quand on joue une pièce profondément ancrée dans l'histoire noire américaine comme celle-ci. Car la Parabole du Semeur d'Octavia E. Butler pourrait tout à fait être jouée dans cette version musicale et colorée, si le lieu était différent. Quand le public pourrait plus facilement surmonter la digne défiance de plonger dans un monde de faux-semblants dystopiques avec les chanteurs. Ainsi, l'histoire d'un futur pas si lointain (2024), dans lequel la criminalité liée à la drogue détruit la jeunesse, le climat s'est retourné contre l'humanité et un président promet de rendre l'Amérique Grande à nouveau, après quoi une jeune prophétesse conduit un petit groupe de damnés à la libération, passerait mieux.
L'âme
Peut-être que cette histoire relevait trop peu de la fiction aujourd'hui, avec Trump au pouvoir et des camps d'enfants à la frontière avec le Mexique. Impensable en 1993, maintenant réalité, et donc la science-fiction de Butler passait maintenant pour presque naïve. Cela n'aide pas non plus. Avec l'aimable autorisation de Trump.
Cela a peut-être aussi rendu plus visible le fait que la musique a très souvent les rythmes lents que nous connaissons le mieux du légendaire Solomon Burke, avec qui Toshi Reagon partage aussi l'apparence extérieure. Comme cette grandeur d'âme, elle est assise sur une chaise parce que la gravité aurait autrement trop d'emprise sur elle, et comme Burke, elle est assistée de grands prêtres et d'un très bon groupe.
Bien sûr : les chanteurs sont moins doués que les élèves de notre conservatoire et le jeu d'acteur passe pour de l'amateurisme. Mais ce n'est pas non plus le but de cette représentation. Ici, deux mondes assis en face l'un de l'autre étant très divers, sans réelle unité.
Regards désapprobateurs
J'ai trouvé cela dommage, car j'aurais aimé me balancer et applaudir silencieusement sans que la dame élégante à côté de moi ne me regarde d'un air désapprobateur, et sans que les hipsters devant moi ne sous-estiment l'ensemble, ou que les gens derrière moi ne quittent bruyamment la salle de spectacle. Il se peut donc que mes circonstances personnelles aient joué un rôle. En effet, d'autres ont rapporté qu'ils s'étaient retrouvés dans une masse oscillante tourbillonnante et colorée. Ce que, à mon tour, j'ai manqué.
De retour dans le train pour Utrecht, à l'Arena, le train s'est rempli de fans de Beyoncé (et de Jay Z). Une foule tourbillonnante et très colorée. Le tout dans un calme amical. Ce n'était pourtant pas un rassemblement mixte et chaleureux. Personne ne parlait à quelqu'un d'autre qu'à son propre petit club. Dès que le train s'est mis en marche, tout le monde s'est penché sur son téléphone portable pour vérifier les images qu'il avait faites lui-même et les partager avec ses supporters. Au loin.
Ce soir (21 juin 2018), les spectateurs de la Parabole du semeur d'Octavia E. Butler ont la chance d'être un terrain fertile pour la graine d'optimisme que sème Toshi Reagon. J'aimerais bien savoir comment ça s'est passé.
La profondeur offerte par le festival de Hollande à ce programme a permis de vivre une autre expérience très différente. Lis (et écoute).