L'amour est un poison", chante Mortimer dans la première scène de Leçons d'amour et de violence contre le roi. Le conseiller militaire dénonce ses relations avec Gaveston, qu'il a comblé de faveurs alors que ses sujets souffraient de la faim. Le roi réplique : "Ne m'ennuie pas avec le prix du pain". Il préfère offrir à son amant de la poésie et de la musique plutôt que de se préoccuper de son peuple. L'amour nous rend humains".
Pourtant, ce troisième opéra du compositeur George Benjamin et du librettiste Martin Crimp est dépourvu de toute trace d'amour. C'est un drame glacial qui n'a que des perdants. Le roi oblige Gaveston à nager sous la glace jusqu'à ce que ses poumons craquent et lui tient la main au-dessus du feu.
À l'inverse, l'"amour" de Gaveston est ancré dans l'intérêt personnel. Il fait régner la terreur parmi le peuple, provoquant l'expulsion de Mortimer et confisquant ses biens. La reine Isabel, quant à elle, supporte Mortimer, avec qui elle élève son fils en bas âge pour en faire un roi fantoche. C'est d'ailleurs avec lui qu'elle signe l'arrêt de mort de Gaveston et de son mari. Mais en fin de compte, elle aussi se retrouve les mains vides.
L'amour n'est jamais désintéressé
L'idée cynique que l'amour n'est jamais désintéressé traverse le spectacle comme un fil conducteur. La recherche du pouvoir est primordiale. - Elle est joliment symbolisée par la couronne de roi illuminée qui ne cesse d'entrer et de sortir de scène. Une fois couronné, le "jeune roi" décide de tuer Mortimer et de lui crever les yeux. Le fils a appris ses "leçons d'amour et de violence".
Sertir peut pour Benjamin le librettiste rêvé Il n'en va pas forcément de même pour l'opéra. Ses paroles, bien que belles et musicales, sont trop abstraites pour donner aux personnages une profondeur psychologique. Par conséquent, il est impossible de s'identifier à un seul personnage ; ils sont tous aussi froids les uns que les autres. Seule la petite fille - simplement "la fille" - parvient à susciter un peu de compassion. En tant que spectatrice silencieuse, elle rend palpables, sur le plan émotionnel, l'affection et l'inquiétude enfantines qu'elle éprouve pour son père. L'actrice Ocean Barrington-Crook joue le rôle principal.
Musique rayonnante
Dans l'atmosphère glaciale de la scène, Benjamin met en place une musique sulfureuse, pleine de timbres précieux. La tension sous-cutanée est constamment palpable dans des champs sonores dissonants qui font froid dans le dos, mais qui sont astucieusement enveloppés dans des harmonies aux voix douces. - Aussi paradoxal que cela puisse paraître. Ce feu qui couve doucement est interrompu par de fortes explosions de cuivres et de percussions. Benjamin suit le texte de près et sa musique rappelle parfois l'expressionnisme de Berg ou de Schoenberg. D'un autre côté, les lignes vocales lyriques et parlando rappellent les opéras de Benjamin Britten.
Wagner regarde au coin de la rue lorsque l'orchestre raconte une histoire différente de celle des chanteurs. Par exemple, dans le magnifique duo entre Isabel et le roi dans la quatrième scène. Alors qu'il crie amèrement sa rage après le meurtre de Gaveston, une très belle musique retentit. Les coups de sourdine sur un cimbalom et les harmonies majestueuses de la sixième scène sont également magnifiques. Le roi est mort, mais Gaveston, en tant qu'"étranger", l'embrasse une dernière fois. Auparavant, un tambour à main solitaire avait annoncé leur mort à tous les deux.
Univers étouffant
Il est bon d'entendre que Benjamin a écrit ses parties en fonction du corps de ses chanteurs. Le baryton Stéphane Degout est un roi imposant, Gyula Orendt convainc en Gaveston malgré une petite bavure dans la gorge. Barbara Hannigan nous enchante dans le rôle d'Isabel, sa voix étant pleine et ronde même dans les régions les plus élevées. Le ténor Peter Hoare façonne son rôle de Mortimer avec clarté et puissance. Samuel Boden est un garçon/jeune roi merveilleusement pur.
La mise en scène de Katie Mitchel est efficace. Les sept scènes se déroulent dans un dortoir, chacune étant vue d'un point de vue différent. Au début, les poissons nagent encore dans un aquarium aux couleurs chatoyantes, mais après quelques scènes, il ne reste plus qu'un tas de pierres stérile. Il n'y a pas de fenêtres : la mort règne dans cet univers morne. L'atmosphère suffocante est accentuée par le fait que les personnages se déplacent souvent au ralenti.
George Benjamin lui-même dirige l'Orchestre philharmonique de la Radio, qui fait une fois de plus preuve de sa classe en interprétant avec brio sa musique rayonnante. Malheureusement, il ne parvient pas à donner vie au livret abstrait.
L'Opéra national/Festival de Hollande
George Benjamin/Martin Crimp : Leçons d'amour et de violence
L'opéra est encore visible jusqu'au 5 juillet
Infos et cartes ici.
Le jeudi 28 juin, une représentation en semi-scène de Written on Skin aura lieu à l'Opéra de Paris. La maison de la musique à l'IJ.