Juste pour le plaisir, cite un classique littéraire ou culturel néerlandais dont tu es sûr que les gens autour de toi connaissent l'existence. Et je veux dire une œuvre, comme un livre ou une pièce de théâtre, qui revient toutes les quelques années dans les listes, sur nos scènes, dans nos cinémas. Quelque chose que tout le monde, même aujourd'hui, a connu à l'école.
Il y a de fortes chances que tu ne saches pas en citer beaucoup. Des classiques officiels comme le Max Havelaar, The Silent Power ou Op Hoop van Zegen peuvent te venir à l'esprit, mais ce ne sont pas vraiment des pièces qui répondent au critère d'être rafraîchies toutes les quelques années. Et encore moins chaque année. À l'exception, donc, de Soldier of Orange. Mais il ne s'agit que de la comédie musicale la plus ancienne de notre pays.
Souffrons-nous d'obésité culturelle ?
Cette année, un festival à Amsterdam te fera sentir ce que tu rates. Le Holland Festival, qui célèbre sa 75e édition cette année, a été créé un jour pour élever les Pays-Bas culturellement affamés en amenant les meilleurs films, musiques, danses et théâtres internationaux dans nos théâtres de banlieue et nos salles de concert. Aujourd'hui, en 2022, on peut dire que cette mission a réussi. En effet, nous avons tellement de festivals qui apportent les meilleurs arts internationaux aux Pays-Bas que nous souffrons un peu d'obésité culturelle. Après tout, IDFA, IFFR, Julidans, Spring, O, November Music, Brandhaarden, Boulevard, ce ne sont que quelques exemples de toutes les belles choses qu'il y a à goûter. En tant que Holland Festival, comment te démarquer de tout cela ?
Qu'offre un marché où le plus offrant détermine l'offre ?
Du moins en ce qui concerne le budget, car, bien qu'une décision extraordinairement discutable du Conseil de la Culture en 2020 ait tout simplement pris une bouchée de 20 % du budget, il n'y a toujours pas de festival aux Pays-Bas qui soit plus riche. Dans une perspective européenne, il est seulement devenu un peu plus petit, comparé à des festivals comme 'Avignon' (25 millions) ou le Wiener Festwochen (aussi quelque chose comme ça).
Alors, que peut-on acheter d'autre avec ce budget relativement modeste, dans un marché où le plus offrant peut déterminer le prix - et donc l'offre ? Pas mal de choses, et le Holland Festival le doit à son excellente réputation. Non seulement en termes de politique (artistique), mais aussi parce que le public néerlandais est plutôt bien considéré. 'Nous' pouvons encaisser des coups et ne commençons pas à jeter de la boue à la moindre bizarrerie artistique.
Le débat avec les précédents a lieu à Zurich
Mais après 75 ans, qu'est-ce que le Festival de Hollande a encore à nous apprendre ? Pour cela, nous devons revenir un instant à la mission qui a commencé cette pièce : savoir si tu peux nommer un evergreen/classique culturel néerlandais. Dans un certain nombre de représentations, l'édition 2022 du festival nous fait sentir à quel point il est étrange de vivre dans un pays sans classiques largement soutenus.
J'ai eu la chance de pouvoir assister à quelques représentations avant ce festival en préparation. Ce n'est pas tout à fait une coïncidence si trois des cinq représentations impliquaient Nicolas Stemann. Le metteur en scène suisse est l'"artiste associé" du Holland Festival de cette année, avec Angélique Kidjo. Il est directeur artistique du Schauspielhaus de Zurich, qui est depuis des décennies un foyer d'innovation dans une Suisse par ailleurs plutôt conservatrice. Il y a des années, par exemple, j'y ai vu un spectacle de Christoph Schlingensief, prématurément décédé, qui a adapté et joué Hamlet avec des néo-nazis : Hamlet avec des néo-nazis - Schauspielhaus Zurich.
Les Français doivent aussi y faire face
Il y a donc tout un héritage à Zurich et Stemann semble l'honorer en incitant - en tant que metteur en scène ou directeur artistique - les créateurs de théâtre à travailler avec des classiques. Par exemple, j'ai vu Un commentaire d'une grande portée sur Der Ring des Nibelungen de Richard Wagner et un nouvel aperçu du classique moderne du monde germanophone : Der Besuch der Alte Dame.
Steman a également fait ses armes dans le monde francophone. À Lausanne, il a réalisé une adaptation de l'Etranger du prix Nobel Albert Camus.
Cette pièce, dans laquelle il a voulu réunir l'original de Camus, que tout Français a lu à l'école, avec le commentaire littéraire de Camus par l'écrivain algérien Kamel Daoud 'Meursault - Contre Enquête' peut également se targuer d'un large intérêt parmi les francophones de part et d'autre de la Méditerranée : Contre-enquêtes - Nicolas Stemann.
Les textes sont sacrés
La pièce est d'autant plus spéciale que la petite-fille d'Albert Camus a explicitement interdit aux réalisateurs d'utiliser ne serait-ce qu'une seule ligne du roman de Camus, qui raconte l'histoire d'un homme qui tire sur un Arabe sans nom par ennui, mais qui n'est pas puni pour cela parce que la loi en Algérie ne fonctionne pas entre 12 et 2 heures de l'après-midi. Les commentaires sont autorisés, mais les textes de Camus sont sacrés.
Une telle interdiction serait difficilement imaginable aux Pays-Bas : l'œuvre littéraire n'y a ni le statut ni l'impact d'une œuvre comme l'Etranger, et la commenter n'est donc pas très remarquable non plus. À l'exception de quelques œuvres plus anciennes, toutes n'ont pas été réunies en un véritable canon allant de soi, malgré tous les vaillants efforts des ministères et des musées.
Nous entreprenons la démolition et la construction de nouveaux bâtiments
On pourrait dire que c'est libéral, et progressiste, de ne pas s'accrocher au passé. C'est comme pour nos villes : quand quelque chose est considéré comme vieux, nous ne le laissons pas en place, mais les entreprises démolissent et construisent du neuf, parce qu'il n'y a pas beaucoup d'espace dans notre pays, et donc, apparemment, pas dans nos têtes non plus.
Alors que le Holland Festival nous fasse sentir que maintenant, en nous faisant regarder un peu bizarrement tous ces travaux de rénovation et de réinterprétation de matériel ancien, pourrait être une bonne chose.
Non pas que nous devions tous désormais nous rendre dans un musée national d'histoire, virtuel ou non, pour voir de près les 50 fenêtres d'un énième canon, mais il est amusant de se demander s'il n'y a pas aussi quelque chose de noble dans le fait d'"engager le débat" avec un monument aussi ancien.
En effet, notre indifférence concerne non seulement les hauts culturels mais aussi les bas nationaux.
Le Holland Festival 2022 se déroulera du 3 au 26 juin dans différents lieux d'Amsterdam. Informations et programme.
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Euphoria de Julian Rosefeldt extrait du programme du Holland Festival 2022.