Nous nous étions à peine remis de la renaissance de Céline Dion. Le traditionnel et kitsch "Son et Lumière", avec lequel la France avait fait de l'ouverture des Jeux Olympiques un événement typiquement français, avait également déclenché une tempête de protestations avec un tableau vivant à la gloire tristement insuffisante peinture "Le festin des dieux" de Jan van Bijlert. Créee en 1635.
Les conservateurs chrétiens américains, qui partagent avec le despote russe Poutine leur dégoût de l'Europe décadente, y ont vu un blasphème, parce que "woke-", ou plutôt... 'DEI-'La version française de la Cène de Léonard de Vinci. À leur tour, les Français ont vu cela comme une insulte, car Léonard de Vinci n'était pas un Français, alors pourquoi l'honoreraient-ils jamais à leur propre fête. Non, ce sont plutôt les Minions. Parce qu'ils sont aussi Français.
L'organisation s'est ensuite excusée, pour quelque chose que le créatifs n'y avait pas pensé du tout.
Soulagement
Des guerres ont été déclenchées pour moins que ça, c'est pourquoi la diffusion de Zomergasten en ce dernier dimanche de juillet 2024 a été une formidable bouffée d'air frais. Bien que le soulagement soit peut-être une mauvaise description de l'infime lueur d'espoir avec laquelle les interlocuteurs ont terminé la soirée vers 23h30.
Je dois avouer honnêtement que je Sana Valiulina ne connaissait pas encore, et dans les premières minutes de l'émission, j'ai vu Jelle Brandt Corstius parler à un Estonien très tendu et sévère. La soirée m'a semblé longue, mais elle a finalement filé à toute allure.
C'était un Zomergasten comme il nous en manquait depuis longtemps. Surtout après le pesant 2023 avec Theo Maassen, qui s'est révélé surtout très peu apte à parler aux femmes. Sa conversation avec la chorégraphe Alida Dors était... une démonstration embarrassante pleine de mansplaining et de supériorité blanche mal placée..
Il en a été tout autrement cette fois-ci avec Jelle Brandt Corstius et Sana Valiulina. Ils ont partagé leur amour pour la Russie et leur tristesse quant à la direction prise par ce pays. Cela a donné à la conversation une intimité qui aurait pu devenir gênante, mais comme tous deux étaient conscients des quelques centaines de milliers de téléspectateurs, elle est restée un joyau de clarté. Leur conversation était également égale, et Brandt Corstius a réussi à maintenir son interlocuteur en éveil grâce à sa curiosité journalistique.
Horde hurlante
Dans cette conversation lucide, ce sont les extraits télévisés qui ont mis l'eau à la bouche pour la première fois depuis des années. La scène de la messe magistériellement dérangeante du film de Tarkovsky Andrei Rublev reste gravé dans ta mémoire. Pas tant à cause du nombre désormais inimaginable de figurants, mais surtout parce que la horde hurlante de cavaliers, même en noir et blanc et soixante ans après la première, inspire la terreur. Valiulina a interprété cela avec justesse en faisant directement référence à la façon dont les troupes russes, selon des témoins oculaires, se déchaînent aujourd'hui en Ukraine.
Aldous Huxley, qui dans quelques phrases nettes sur une image noir et blanc vacillante analyse parfaitement comment la soumission à notre propre progrès nous rend finalement esclaves, suivi d'un extrait pince-sans-rire de MidsommarLe film dans lequel les gens se sacrifient les uns les autres parce que les règles fixes sont plus agréables que d'avoir à penser par soi-même.
Rikkie et Slingertje
L'image de ce deuxième Zomergasten contrastait énormément avec le premier épisode, dans lequel l'optimiste de la course Eric van den Burg nous a montré une image de l'homme VVD socialement engagé et empathique tel qu'il nous a manqué pendant des années. Il aurait quand même pu commencer par un extrait des Jumelles et de l'article "Le VVD". Rikkie&SlingertjeSi les rédacteurs en chef lui en avaient donné l'occasion, il n'en aurait pas été de même. Sana Valiulina a maintenant apporté une sélection d'images de personnes silencieuses.
Au début de l'émission, ce qui m'a profondément ému, c'est l'image du film "L'été froid de 1953", dans lequel on annonce à une femme que son mari est mort au goulag. Le messager de cette calamité n'a apporté que ses lunettes empâtées en souvenir à cette femme au cœur brisé. Dans un long plan, nous la voyons, apparemment indifférente, tenir les lunettes dans sa main. Le chagrin ainsi montré devient déchirant et indescriptible.
Ainsi, Valiulina avait elle-même regardé une émission légendaire de 30 minutes d'Arjan Ederveen. L'humoriste se livre à une brillante satire dans ce mockumentaire qui raconte l'histoire d'un agriculteur de Groningue né dans un mauvais corps de façon plutôt inattendue. Là où nous voulons surtout regarder comment Ederveen se moque d'un thème social particulier, Valiulina a vu cet autre aspect qui rend l'œuvre d'Ederveen si inoubliable : un personnage frondeur, hors de propos dans ce monde, dépeint de manière tout à fait crédible.
Inébranlable
Un tel silence impassible est du grand cinéma, et ils ont inventé cet art aussi à l'est de nos frontières. On le retrouve parfois dans les œuvres télévisées modernes, comme dans Le sixième épisode de The Bear sur Disney+, mais donc aussi dans Zomergasten. En effet, Sana Valiulina elle-même en est le plus bel exemple. Son visage est resté au pli, même dans tous ces moments où elle riait ou pleurait. Ceux-ci étaient nombreux, mais elle nous a donné à nous, à la maison, la chance de voir, et de penser avec elle. Et donc de voir quelque chose de l'espoir, même si elle a dit elle-même qu'elle ne savait pas exactement où il se trouvait à ce moment-là.