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Catherine Millet : 'Dès que quelque chose est sur le papier, j'en suis soulagée'

Son livre La vie sexuelle de Catherine M. a pris le monde par surprise et l'a rendue mondialement célèbre du jour au lendemain. Depuis, Catherine Millet est l'un des écrivains français les plus lus. Dans son dernier roman Une vie de rêve elle retourne dans son enfance à Bois-Colombes. A Quattro Mani l'a accompagnée jusqu'à la semence de sa paternité.

Catherine Millet à la mairie de Bois-Colombes ©Marc Brester/AQM
Catherine Millet à la mairie de Bois-Colombes ©Marc Brester/AQM

Retour à Bois-Colombes

Le calme règne sur la place de la République, la place centrale de Bois-Colombes. Le clocher vert cuivré de la mairie se réchauffe au soleil du matin, tandis qu'une mère et son bébé sont perchés près de la fontaine qui gargouille joyeusement - le petit garçon se dandine avec enthousiasme vers un canard, qui se fraye tout aussi dandinante un chemin vers la sortie. Les parterres de fleurs colorés sont jolis et colorés. On dirait qu'ils veulent séduire les visiteurs avec toute leur splendeur.

'En décembre, j'ai donné une conférence ici', dit Catherine Millet en montrant l'immeuble mitoyen derrière elle. 'J'ai été invitée à venir parler de mon livre. Il y avait beaucoup de monde, la salle était pleine de gens sympathiques. C'était la première fois depuis longtemps que je remettais les pieds à Bois-Colombes. La dernière fois que j'y ai roulé, c'était il y a des années, du vivant de ma mère.'

Frank

Catherine Millet est critique d'art, fondatrice et rédactrice en chef du principal magazine d'art. Art Press et essayiste. En dehors de la France, elle est surtout connue comme écrivain sur des sujets autres que l'art. En 2001, Millet a publié le livre autobiographique La vie sexuelle de Catherine M. Avec franchise et sobriété, elle a décrit ses escapades sexuelles débridées, et toutes les façons et positions dans lesquelles elle s'est retrouvée avec un ou plusieurs hommes en même temps, lors de soirées, au bois de Boulogne, dans des clubs ou des chambres. Le livre a fait l'effet d'une bombe : jamais auparavant une femme n'avait écrit aussi crûment sur la sexualité et la luxure. Les réactions ont été extraordinaires et pour la plupart très positives", se souvient Millet. De nombreuses femmes se sont senties renforcées. Le livre a été traduit en quarante-cinq langues et s'est vendu à plusieurs millions d'exemplaires. J'ai voyagé dans le monde entier et j'ai passé le meilleur moment de ma vie.'

Après la publication de "La vie sexuelle de Catherine M." Millet a voyagé dans le monde entier. ©Marc Brester/AQM
Après la publication de "La vie sexuelle de Catherine M." Millet a voyagé dans le monde entier. ©Marc Brester/AQM

Apparaît alors JalousieCe livre raconte le pouvoir dévastateur de la jalousie qui l'a prise en otage après avoir découvert que son mari Jacques Henric avait lui aussi des mœurs légères. Et cette année est apparue Une enfance de rêveLa force de la prose de Millet, c'est qu'elle est sans affectation et très terre à terre. La force de la prose de Millet réside dans son style de description sans affectation, terre à terre, observateur et factuel, dépourvu d'émotion, de sorte qu'elle ne devient jamais larmoyante - c'est-à-dire pleine d'esprit.

Catherine Millet : "C'est là que je suis née" ©Marc Brester/AQM
Catherine Millet : "C'est là que je suis née" ©Marc Brester/AQM

Regarde, c'est là que je suis née", dit-elle en montrant le numéro. 1 Rue Philippe de MetzNous sommes partis de la gare moderniste inhabituelle située le long de la rue des Bourguignons, à la frontière entre Bois-Colombes et Asnières. Nous sommes partis en voiture de l'insolite gare moderniste qui longe la rue des Bourguignons, ligne de démarcation entre Bois-Colombes et Asnières, jusqu'à la maison où elle est venue au monde en 1948. Un appartement de deux pièces, où elle vivait avec sa mère, son père, sa grand-mère et plus tard son petit frère. Catherine dormait à côté de grand-mère, dans un lit gigogne du salon que l'on sortait tous les soirs.

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Père n'était plus le même depuis son retour de la guerre, une guerre qui se poursuivait à la maison entre lui et sa femme - mentalement, mais parfois aussi physiquement. Il y avait de l'alcool, des tromperies, des coups. Oh oui, il y a eu tellement de policiers dans la rue ici..." dit joyeusement Millet, qui a elle-même été régulièrement battue par son frère.

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Ce n'est pas une époque à laquelle on aime revenir, tu t'en doutes, alors pourquoi a-t-elle écrit un livre à ce sujet ? Millet rit. 'C'est mon éditeur qui me l'a demandé', avoue-t-elle. 'En Jalousie comprenait un chapitre sur mon adolescence. Après la publication de ce roman, mon éditeur mais aussi des amis m'ont demandé d'écrire sur ma petite enfance. Comme j'étais en Jalousie J'avais déjà écrit sur ma jeunesse, peut-être y avait-il un besoin intérieur après tout. En tant que personne, je regarde vers l'avant, en tant qu'écrivain, je regarde vers l'arrière : je veux raconter une vie normale à une certaine époque, comme faisant partie de l'histoire, de notre histoire.'

Violence psychologique

'Mon enfance n'a pas été exceptionnelle, il y a tant d'enfants qui ont subi des coups à la maison ou qui ont vécu dans une famille où régnait la violence psychologique. Qui sont-ils, comment vivaient-ils, quels étaient leurs désirs, qui aimaient-ils ? Je voulais témoigner non pas tant pour moi, mais pour toute une génération. Mon objectif personnel est de me libérer. La vie peut être assez lourde, et je ne veux pas porter tout ce poids en permanence. Dès que quelque chose est couché sur le papier, je m'en libère et je me sens plus légère. Même si ce que j'écris est autobiographique, lorsque le livre est terminé, cette fille Catherine est devenue quelqu'un d'autre que moi.'

Le millet dans ses écoles primaires ©Marc Brester/AQM
Le millet dans ses écoles primaires ©Marc Brester/AQM

Nous passons devant son école primaire aux deux portes cintrées. Une procession de petits est en train d'y entrer. Dans son roman, elle se souvient de la directrice comme 'une femme aimable et digne qui soulignait son autorité par une poitrine proéminente qui, comme celle de ma grand-mère, remplissait dignement son chemisier à col montant', une silhouette que l'on ne croise pas souvent de nos jours, ajoute-t-elle avec délicatesse. J'adorais aller à l'école. Quand j'ai commencé ce livre, j'ai appelé le directeur pour lui demander si je pouvais venir le voir. Tout était exactement comme à l'époque, les couloirs, les portes, rien n'avait changé, seulement tout était si petit !'

Grâce à l'écriture, elle s'est à nouveau souvenue de tout, a été un instant cette fille à nouveau. 'Mais une fois écrit, mes vrais souvenirs ont été remplacés par les descriptions de mon livre, la traduction que je lui ai donnée. Comprends-tu ce que je veux dire ? C'est comme si un écran était venu se placer entre mes souvenirs et mon âme. Cet écran, c'est le livre.

Le suicide

Les choses ne se sont pas bien terminées pour la famille Millet. Après la mort du frère de Catherine dans un accident de la route alors qu'il avait vingt et un ans, ses parents ont décidé de se séparer. Son père est ensuite décédé d'un cancer du poumon ; sa mère s'est finalement suicidée. Lors de ses funérailles, Catherine est le seul membre de la famille proche à marcher devant.

Catherine Millet : "Ici, j'ai pu rêver sans fin" ©Marc Brester/AQM
Catherine Millet : "Ici, j'ai pu rêver sans fin" ©Marc Brester/AQM

Néanmoins, Millet a remporté le titre Une enfance de rêve Ce n'est pas seulement une question d'ironie, nous dit-elle en nous conduisant à l'église et à l'ancienne ligne de chemin de fer. Une nouvelle ligne l'a rendue désaffectée et envahie par l'herbe. Pour la petite fille qu'elle était, ces rails symbolisaient une autre vie, un autre avenir. Ce sont des endroits où j'aimais venir. Je pouvais y rêver à l'infini. Car c'est ce que Catherine faisait pour échapper à la réalité quotidienne. Elle avait recours à la foi, mais surtout aux histoires. 'La fiction m'a servi d'abri que j'ai toujours porté sur moi, comme la carapace de la tortue qui la protège', écrit-elle dans son livre.

Histoires drôles

En écrivant Une enfance de rêve Millet s'est rendu compte que son enfance n'était pas seulement misérable pour elle-même. Enfant, j'ai souffert parce que mes parents se disputaient. Je les aimais tous les deux de la même façon - et eux aussi - et j'avais le désir profond de faire en sorte qu'ils s'aiment à nouveau. Il est clair que je n'y suis pas parvenue. Mais cette période m'a aussi fait prendre conscience de ce qu'est la vie. Et comme je me sentais malheureuse, j'ai commencé à raconter à mes copines des histoires drôles sur les... dramatique dans ma vie. M'inventer une autre vie me permettait de m'évader. Donc, d'une certaine manière, mon enfance a posé les bases de mon écriture.'

Bon à savoir

Les travaux de Catherine Millet sont publiés par De Bezige Bij. 

©Marc Brester/AQM
©Marc Brester/AQM

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Wijbrand Schaap

Journaliste culturel depuis 1996. A travaillé comme critique de théâtre, chroniqueur et reporter pour Algemeen Dagblad, Utrechts Nieuwsblad, Rotterdams Dagblad, Parool et des journaux régionaux par l'intermédiaire d'Associated Press Services. Interviews pour TheaterMaker, Theatererkrant Magazine, Ons Erfdeel, Boekman. Auteur de podcasts, il aime expérimenter les nouveaux médias. Culture Press est l'enfant que j'ai mis au monde en 2009. Partenaire de vie de Suzanne Brink Colocataire d'Edje, Fonzie et Rufus. Cherche et trouve-moi sur Mastodon.Voir les messages de l'auteur

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