Cela ressemble à un jeu de mots idiot : au nouveau festival Spring Utrecht, un projet Sacre ne pouvait pas manquer, bien sûr. Mais il s'agit simplement d'une tendance lourde. Laurent Chetouane n'est pas le seul auteur de danse contemporaine à interpréter la société à travers des comportements de groupe complexes, à la frontière entre la chorégraphie et l'improvisation. Voir aussi, par exemple, les travaux récents de De Keersmaeker et Charmatz.
L'original Sacre du Printemps a été commandée par Diaghilev pour les Ballets Russes. En réalité, la pièce doit surtout sa célébrité aux rythmes pionniers et à la tonalité transversale de Stravinsky. La chorégraphie de Nijinski, dont la première a eu lieu à Paris il y aura 100 ans la semaine prochaine, n'a été jouée que 10 fois. C'est la version du ballet de Massine, datant de 1920, qui a servi de base aux célèbres réinterprétations de chorégraphes tels que Maurice Béjart et Pina Bausch. Avec Béjart, ce n'est pas seulement une fille qui est sacrifiée mais un couple, et Bausch a transformé le Sacre en un reproche à la société masculine : sacrifier les femmes. Dans ce jubilé, Chetouane va plus loin. Il s'oppose au sacrifice de la vie humaine tout court.
Presque timidement, les sept danseurs entrent sur la scène silencieuse et vide. Elle devient ainsi un lieu d'attentes et d'interprétations : tout peut devenir quelque chose, mais aussi se défaire à tout moment. Dans une compréhension mutuelle (des regards sont échangés, la distance est mesurée) et avec quelques touches abstraites de maquillage coloré sur le visage, les danseurs font leurs premiers pas, distribuant des gestes, les uns aux autres et au public. Un saut ici et là s'accélère, doublant le jeu avec les relations dans l'espace et le temps.
Les danseurs décrivent ainsi toutes sortes de relations possibles. On dirait un jeu d'enfant qui échappe à tout contrôle. Très vite, le groupe se met à courir à toute allure, à céder, à plonger de plus en plus profondément dans une sorte d'excitation, comme la nature l'ordonne au printemps : des balles. Elles voltigent, s'agitent, tournoient, gargouillent, roucoulent, s'extasient, et donc aussi exotiques et étranges pour ceux qui n'y participent pas. Voilà pour la partie compréhensible de la question. Ce qui est moins évident, c'est la proposition que cet embaumement implique la mort de quelqu'un.
Chetouane, qui a déjà une œuvre considérable à son actif en tant que metteur en scène de textes clés de la scène allemande, fait également de la danse depuis plusieurs années, avec pour point d'orgue, pour l'instant, l'année 2011 Horizon(s). Son compositeur habituel et bassiste pour le groupe Selig, Leo SmidthalsLe Sacre est une pièce qui a composé un "avant" et un "après" aux deux actes de Stravinsky. Sobrement énoncé, rythmiquement stimulant, accentué ici et là par un solo de flûte ou de violon, le morceau se construit lentement jusqu'à ce que le Sacre lui-même retentisse. Les flirts commencent à ressembler de plus en plus à un rituel communautaire. Une référence religieuse fait passer les choses de l'échange de base entre les gens à la structure sociale. Le groupe dans son ensemble devient de plus en plus dominant, crachant constamment de nouveaux candidats qui se dirigent invariablement vers le public, mais pour commencer quoi ? Encore et encore, l'offre de partage semble vaine. L'excitation constante ne se résout pas non plus en un point culminant ou une débâcle sur scène. De plus en plus, l'excitation sans sacrifice, sans intrigue, commence à devenir un jeu d'acteur sans but.
Devant moi, au premier rang, un critique du quotidien feuillette déjà le livret du programme de printemps. Un peu plus loin, une collègue chef d'orchestre discute de la représentation avec son partenaire visiblement irrité. Je m'émerveille des images ressemblant à des fresques de la Renaissance qui émergent ici et là, composées de petits gestes et de mouvements subtils, humanistes. Je lis une infinité de détails dans la façon dont les sept danseurs vont chacun de leur côté, malgré la chose de groupe ou, plus exactement, en interagissant avec elle. Les références à ce qui aurait pu autrefois être considéré comme acquis, les rôles exaltés et les proportions mythiques, semblent maintenant une histoire ridicule, faisant néanmoins encore des victimes. Ou s'agit-il de clowns, de fêtards de carnaval, d'une naïveté exubérante, mis en scène pour pratiquer le mal, non pour le légitimer ?
Le jour où j'écris ces lignes, les images d'un garçon avec du sang sur les mains et des couteaux circulent dans le monde entier. Il se laisse filmer par un passant. Plus tard, lui et son compagnon se dirigent vers la police, en tirant. Il cherche à se venger, pour les victimes précédentes. Quelques jours plus tôt, après la représentation pendant le Printemps, Chetouane expliquait : qu'il est fatigué des conflits, ennuyé même, plus de sacrifices, de préférence même pas de contrat, parce que ça aussi ça exclut des gens. Mais que vaut le fait de rester dans un groupe, s'il n'a pas le droit d'expulser ou de ne pas admettre les personnes qui se déchaînent, comme l'a dit le philosophe juridique Gijs van Oenen lors d'une discussion au festival avec la danseuse handicapée Vicky Malin et le demandeur d'asile débouté Yunes Omar ? La société comme un groupe ouvert, sans contrat sur l'inclusion et l'exclusion, ou sur qui est autorisé à utiliser la violence et qui ne l'est pas ? Continuez à danser les uns autour des autres jusqu'à ce que vous tombiez ? Cela peut sembler être un tigre édenté en termes politiques, une utopie - mais la performance ne l'est pas moins, au contraire. Cela reste une bonne question, posée par Chetouane d'une manière aussi subtile que conflictuelle : pourquoi avons-nous besoin de ce sacrifice ? Pourquoi les gens doivent-ils perdre encore et encore, bêtement, pour maintenir un certain ordre ?
Programme de printemps à Utrecht