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Se souvenir, c'est descendre dans les cavernes les plus profondes de l'échec et du chagrin

Le seul dont on se souvienne vraiment dans le roman de Jan Wolkers "La pêche de l'immortalité" est l'ancien résistant Ben Ruwiel. Le 5 mai 1980, l'entrée des Canadiens, 35 ans plus tôt, est célébrée à Amsterdam. La foule, non loin de l'endroit où Ben habite, le remplit de dégoût. C'est irréel. Les gens, enveloppés par la société du bien-être, n'ont aucune idée de ce qu'a vraiment été la libération et de ce qui l'a précédée. Ben n'a jamais pu retrouver ses repères après la guerre, pas plus que sa femme et camarade de résistance Corrie, qui gît, sans doute quotidiennement, paresseusement dans son lit.

Photo de la scène Swarte Art Foundation, "La pêche de l'immortalité
Ali Çifteci est accompagné dans sa pièce de théâtre par des dessins filmés de Rieks Swarte. Photo : Sanne Peper

Lorsque j'ai appris que la Stichting Swarte Kunst proposerait une adaptation théâtrale du roman de Wolkers, j'ai été surprise. L'homme de théâtre Rieks Swarte et Jan Wolkers : deux mondes complètement différents. Les spectacles de Swarte, dans lesquels toutes sortes d'autres moyens que le jeu ont leur place, comme les marionnettes, l'art visuel et le théâtre d'objets, ont parfois été décrits avec enthousiasme comme des "spectacles-jouets". La noirceur baroque de Wolkers, sa représentation profondément empathique de ce qui se passe de minute en minute dans la tête de Ben Ruwiel, la douleur juteusement formulée, qu'est-ce qui survivrait à ce style léger et naïf de Swartes, dans lequel il sort à chaque fois de l'histoire de façon rafraîchissante, avec le message suivant : tout cela n'est pas réel, ce n'est qu'un jeu, n'ayez pas l'illusion que vous pouvez être entraînés dans ce drame.

Photo de scène La pêche de l'immortalité Rieks Swarte avec un chien en peluche
Rieks Swarte donne vie à Snoet de façon émouvante. Photo : Sanne Peper

Rieks Swarte entre régulièrement en scène pour placer des meubles ou donner vie au chien Snoet, tel un marionnettiste. Il filme avec insistance ses dessins et ses maquettes, de sorte que les déambulations de Ben Ruwiel dans les maisons et les rues sont projetées sur la toile de fond. Il s'agit de dessins sommaires, qui ne sont certainement pas destinés à représenter fidèlement la réalité. Le message n'est rien d'autre que : c'est à peu près comme ça que ça s'est passé. Les bruits d'accompagnement, les flaques d'urine ou la rotation d'une roue de bicyclette après que Henk, le cornichon de Ben et le véritable amant de Corrie, a été abattu par les Allemands, sont imités par un Geräuschmacher d'une manière souvent drôle, à l'insu de tout le monde.

Ces moyens rendent la performance pétillante, un plaisir à savourer dans le détail, mais ils relativisent aussi les choses. Cela ne risque-t-il pas de nuire au style narratif intense de Wolkers ?

Au début, cette pensée me gêne. L'acteur Ali Çifteci incarne Ben Ruwiel de façon légère et attachante. Le fatalisme aux yeux écarquillés avec lequel Ben Ruwiel se traîne à travers la journée dans le roman de Wolkers ne se retrouve pas dans l'apparence amicale de Çifteci. Lorsque l'infirmière du district arrive, il a bien un œil pour sa beauté féminine, mais l'excitation abondante du héros délabré de Wolkers est absente.

Pourtant, Çifteci suscite beaucoup de sympathie, et plus ce 5 mai 1980 avance, plus je suis entraînée dans le drame que cet homme traîne tout seul, depuis 35 ans, avec ce jour comme preuve de sa solitude ultime. La combinaison Wolkers/Swarte fonctionne étonnamment bien. Le long des diversions d'un jeu naïf, "La pêche de l'immortalité" vous entraîne pleinement dans le drame personnel de Ben Ruwiel.

[Tweet "Au fil des détournements d'un jeu naïf, "La pêche de l'immortalité" entraîne pleinement le drame personnel de Ben Ruwiel."]].

Le fossé entre Ben et la fausse entrée, l'incompréhension de ceux qui l'entourent, l'isolement de Ben : lentement, il devient clair que le vrai souvenir n'est pas cette célébration superficielle, mais quelque chose qui ne peut avoir lieu que dans la solitude. Commémorer, c'est descendre dans les cavernes les plus profondes de l'échec et du chagrin, une zone au fond de vous que personne d'autre ne peut atteindre. Ben erre en apesanteur dans les rues où tout s'est passé pendant la guerre et où, il y a 35 ans, au moment où les masses se sont enfuies avec les fruits de la résistance, le sens de sa vie a disparu. Ce sentiment de disparition s'impose à moi avec force dans le spectacle de Swarte. Là où Wolkers suscite ma poignance et ma sympathie en me traînant avec humour dans un marécage morbide, Swarte Art te fait ressentir la solitude d'une manière légère et réconfortante. Tu flottes avec le protagoniste dans les rues où il n'y a qu'un écho froid de qui et de quoi était là pendant la guerre.

Pendant ce temps, Çifteci reçoit un merveilleux contrepoint de Margje Wittermans. Elle joue tous les autres personnages. L'infirmière, la voisine, un Canadien, un préposé, un passant, un commerçant, Wittermans les joue tous. Sa force est de ne pas en faire des personnages, mais d'y entrer discrètement et naturellement, puis d'en sortir. Avec chacun d'entre eux, elle réussit précisément à faire entendre qu'ils sont concernés par le vieil homme tragique, mais qu'ils restent en même temps inaccessibles pour lui.

Photo de la scène La pêche de l'immortalité. Photo Sanne Peper
De gauche à droite : Ali Çifteci, Margje Wittermans et Rieks Swarte. Photo : Sanne Peper

Ce qui me touche dans la pièce de Çifteci, c'est la façon dont, sous la désillusion de Ben Ruwiel, un immense réservoir d'amour reste palpable, amour qu'il n'a nulle part où exprimer. Il va acheter une nouvelle mobylette pour Corrie et pour le chien mourant Snoet, il achète des tripes, même si ce dernier aura à peine l'énergie restante pour les manger, et encore moins pour les apprécier. L'action de Ben est vide, vide, impuissante, mais c'est de l'amour.

La version de Swarte de "La pêche de l'immortalité", aussi sommaire et inachevée qu'elle puisse être, est un spectacle conçu dans les moindres détails. La musique, les sons, les séquences filmées, l'histoire excellemment retravaillée en texte théâtral : tout concourt à te faire traverser toute la laideur, la tristesse et l'incompréhension jusqu'à une fin feutrée et totalement désolée, et à te faire ressentir la paix qui en découle.

Voir aussi Thea Derks sur ce spectacle : https://cultureelpersbureau.nl//2015/05/less-is-more

PLAYLIST :

Du 5 au 9 mai & du 12 au 16 mai (première le mercredi 13 mai).

Toneelschuur Haarlem 023-5173910 toneelschuur.nl Di 19 May Stadsschouwburg Utrecht Utrecht 030-2302023 ssbu.nl

Saison 2015-2016

Fri 2 Oct De Meervaart Amsterdam 0900-4107777 meervaart.nl

Za 3 Oct Schouwburg Kunstmin Dordrecht 078-6397979 kunstmin.nl

Do 8 Oct Schouwburg De Meerse Hoofddorp 023-5563707 demeerse.nl

Za 10 Oct Natlab Eindhoven 040-2946848 natlab.nl

Di 13 Oct Theater aan het Spui La Haye 070-3465272 theateraanhetspui.nl

Mercredi 14 octobre Grand Theatre Groningen 050-3140550 grandtheatregroningen.nl

Do 15 Oct Groene Engel Oss 0412-405504 groene-engel.nl

Fri 16 Oct De Cirkel Heemskerk decirkelheemskerk.nl

Za 17 Oct De Harmonie Leeuwarden 058-2330233 harmonie.nl

Mercredi 21 octobre Schouwburg Arnhem Arnhem 026-4437343 mssa.nl

Maarten Baanders

Journaliste artistique free-lance au Leidsch Dagblad. Jusqu'en juin 2012, employée du marketing et des relations publiques au LAKtheater de Leiden.Voir les messages de l'auteur

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